La randonnée dans la nature est-elle nature ?
- enacolombi
- 27 mars 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 août 2024

« Ainsi l’histoire des marais comme des marchés s’achève-t-elle toujours sur un paradoxe. La valeur suprême de ces marais, c’est leur sauvagerie, et la grue est la sauvagerie incarnée. Mais toute protection de la vie sauvage est vouée à l’échec, car pour chérir nous avons besoin de voir et de caresser, et quand suffisamment de gens ont vu et caressé, il ne reste plus rien à chérir » (Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, p.134) .
« La randonnée dans la nature est-elle nature ? »
En voilà une curieuse question.
On ne peut comprendre cette question qu’en saisissant que le premier mot « nature » et le deuxième mot « nature » ne recouvrent pas le même sens sémantique, de la même façon que chacun d’entre nous donne au mot « nature » des signifiés très différents, des signifiés vécus, expérimentés de manière souvent très éloignée.
Cette question est née à la suite de la lecture sur le net d’un article du journal l’Équipe dont le titre était : « Les dix bienfaits de la randonnée » et d’un article portant sur un projet dans la forêt d’Ecouves., « du tourisme en forêt domaniale d’Ecouves »(Nicolas Blanchard)
De prime abord, j’approuve le titre, et exception faite des chiffres donnés quant aux nombres de calories dépensées en quatre kilomètres de marche, largement gonflés, tout ce qui y est dit est, juste et pourtant quelque chose me dérange mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus !
Depuis vous savez ce truc qui nous est arrivé en 2020 cette folie mondiale, qui a abouti aux confinements de millions de personnes, les activités dans la nature se sont développées de façon exponentielle, un bien direz-vous , oui , bien sûr, je trouve que cette soudaine prise de conscience qu’il existe à parfois seulement deux pas de chez vous, de merveilleuses forêts ou autres lieux et qu’au lieu de passer son temps le week-end dans les grands centres commerciaux , comme je l’observais déjà quand je vivais à Chevilly-la-Rue ou de regarder internet ou pratiquer des jeux vidéos, se découvre des activités externes qui, comme on dit, vous sortent de chez vous. Ah, en voilà une expression intéressante, « sortir de chez vous », on en a des façons de sortir de chez soi, mais quand on sort de chez soi, on peut avoir des difficultés à se retrouver ! Bien oui, cela dépend de la manière dont vous sortez de chez vous !
La nature s’offre à vous, on chausse de bonnes chaussures de marche, on remplit un sac à dos de nécessités ( eau, nourritures,...etc,) et nous voilà parti.
« Holà », entend-on derrière nous « comment vous partez ainsi, tout seul comme des grands, mais non voyons laissez-nous tout organiser pour vous, c’est plus simple moins risqué... »,
Le moins grave c’est ces randonnées où un guide vous a planifié votre parcours, ce peut être franchement intéressant, mais c’est qu’on a des gros gourmands qui veulent profiter de cette aubaine de « retour à la nature », mode post-confinement et là, et bien là, on va nous sous-entendre que certes la nature c’est sympa, mais bon un brin ennuyeux, et là cela ne sent pas bon,. Et ils sont doués les saligauds pour vous convaincre que vos gamins vont s’ennuyer à marcher sur des sentiers et puis que vous n’y connaissez rien et puis… bien quand on sort de chez soi c’est pour s’amuser non !
(imaginer une préparation de sortie où se dessinent sur une carte avec la complicité des gamins, un parcours, les découvertes possibles faites en chemin, et dans nos sacs, des bouquins sur les arbres, les plantes, les sites à visiter, naturels ou historiques,...etc.)
Bon, j’avoue que cela ne date pas d’hier, ces envies d’habiller la nature et de progressivement la transformer en grand aire de jeux pour enfant et éternels adolescents, mais sommes-nous conscients que sous l’égide de faire découvrir et aimer, se dissimule des recherches de profits dont certaines régions ne se privent pas, en voici un simple exemple, tout commence par l’idée de construire un belvédère de 30 mètres de haut afin de matérialiser le « Signal d’Ecouves », ( un des points culminants de cette forêt) puis le projet s’étoffe s’y ajoute une passerelle suspendue, cheminant à travers les cimes, un mur d’escalade, toboggans, sentiers découvertes, une salle de 40m² ainsi qu’un parking de 6.500 m², le tout pour 4.500.000 €. Ce projet a été présenté pour la première fois au public le 22 juin 2022.
Pas un seul moment n’est soulevé la raison qui a ouvert vers ce projet. Les arguments de développer une zone, (le Signal d’Ecouves) moins fréquentée que le sud du massif semblent très légers. Envisager une venue touristique pouvant atteindre plus de 6500 personnes par an transforme un lieu naturel en un parc d’attraction à l’auvergnate ! (le Géoparc des puys d’Auvergne).
Bon, ce qui ressort de l’analyse faite de ce projet par Nicolas Blanchard, c’est que quand on met en main le cœur d’une forêt ancienne entre les mains de cabinet conseil dans le « développement du tourisme de demain », on prend le risque d’en oublier la forêt elle-même. Quand on considère l’évaluation de développement économique d’un lieu sans tenir compte du lieu lui-même, on va à la catastrophe : exit, ces réservoirs de biodiversités, (« biodiversités, moi pas comprendre), exit, la préservation d’un patrimoine naturel. Exit la valorisation du patrimoine forestier dont on se fout complètement en artificialisant un site au détriment de tout ce qui en faisait le charme : authenticité et « sauvage ». N’est-ce pas finalement ce que nous recherchons dans ces cathédrales à ciel ouverts que sont nos forêts ?

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